Travail, classes sociales et politiques publiques
Histoire et sociologie du capitalisme marocain
Journées d’étude du Centre Jacques Berque
organisée par Antoine Perrier (CNRS, IREMAM, Aix-en Provence)
et Scott Viallet-Thevenin (Université Mohammed VI Polytechnique, Rabat)
Lieu : Centre Jacques Berque, Rabat
Date : lundi 30 mai 2022
La société marocaine est souvent associée à une série d’oppositions qui fondent son « dualisme », d’après
l’expression du politologue Omar Saghi : entre démocratie et autoritarisme, puissante bourgeoisie et peuple
pauvre, culture occidentalisée et conservatisme religieux, ports et montagnes, villes et campagnes. Au-delà
de ces oppositions, la persistance de son système politique monarchique et d’un apparent consensus social
frappent les observateurs des dernières décennies. Dans une perspective historique, l’isolement du Maroc,
préservé de la domination ottomane, sa composante amazighe et la particularité de son régime politique
chérifien nourrissent aussi son originalité.
En 2001, Abdallah Hammoudi estimait que la variable économique était insuffisante pour comprendre
la stabilité du système marocain compte tenu de la « patience » des classes défavorisées : les évènements de
2011 ont pu donner le sentiment de contredire cette tolérance perpétuelle du dualisme marocain, suscitant
ainsi une multiplication des travaux sur les conflits sociaux. Après 2011, la monarchie, sans déployer un
investissement réel dans la correction des inégalités, a paru de nouveau absorber, dans sa longue tradition,
les innovations dangereuses, renouant avec un équilibre qui fascine, depuis la période coloniale,
anthropologues, historiens et juristes. Pour nuancer cette impression, politistes et sociologues ont offert une
réflexion sur la diversité des mobilisations de la société marocaine face aux inégalités, les façons dont le
pouvoir les légitime, le désengagement et la faible institutionnalisation de l’État social. Mohamed Tozy et
Béatrice Hibou proposent enfin de se libérer des approches binaires par le feuilletage d’expériences sociales
et politiques, saisies à travers l’imaginaire de l’État.
Cette journée d’études, première étape d’un projet de recherche collectif, tout en poursuivant le même
objectif d’un tableau moins manichéen de la société marocaine, propose d’emprunter un angle différent. Les
travaux qu’elle réunira s’intéresseront, à partir d’une démarche empirique fondée sur des données
sociologiques et historiques, à la production des richesses et à leur répartition sous l’angle du travail,
des hiérarchies sociales, des mobilisations sociales et des politiques publiques. Cet intérêt porté aux
origines des inégalités et à leurs dynamiques contemporaines voudrait tout d’abord aboutir à de nouvelles
études autour de mutations sociales encore mal connues pour le Maroc : l’essor discuté d’une société
salariale, une urbanisation sélective, les formes contradictoires de segmentation sociale, la naissance heurtée
d’une classe moyenne, les mobilités sociales et géographiques. L’association entre histoire et sociologie
permettra de comprendre et de nuancer le passage théorique d’une société d’ordre, où l’individu est
déterminé par une appartenance (tribale, confrérique, lignagère…) à une société atomisée, mal insérée dans
le capitalisme international, jugée « en retard » au regard de standards empruntés aux économies
européennes.
Ce faisant, les perspectives ouvertes par cette journée voudraient dépasser le paradigme du « rattrapage »,
qui considère le Maroc comme un pays rural, où le marché de l’emploi informel empêche la diffusion d’un
salariat véritable et où les liens hiérarchiques, par le clientélisme ou la famille, sont souverains en matière
économique. Il ne s’agit pas, pour autant, de nier les forces conservatrices qui travaillent la société marocaine,
mais, pour éviter de les réduire à un modèle trop invariable, elles seront historicisées et surtout rapportées
à l’échelle des individus. La journée voudrait particulièrement mettre en valeur les stratégies des individus
face au marché de l’emploi, à la mobilité sociale et géographique, à leurs relations avec l’État pour mesurer
le poids de l’interconnaissance et ses limites dans le cadre de l’économie marocaine contemporaine.
Cette journée d’études vise à accueillir les enquêtes achevées ou en cours, fondées sur des corpus inédits
(enquêtes de terrain, archives, données quantitatives, etc.) autour de cas pour fédérer les recherches au
Maroc, en France et en Espagne en particulier sans exclure d’autres pays. Il s’agit à la fois de donner une
visibilité, en les associant dans une démarche d’ensemble, aux travaux accomplis ces vingt dernières années
sur les relations économiques et sociales au Maroc en ce début de décennie 2020, tout en identifiant les
chantiers de recherche à partir de ses données.
Tout en se concentrant sur le Maroc, cette journée pourra accueillir des propositions comparatives sur
des thèmes équivalents avec la Tunisie, l’Algérie, la Mauritanie, la Libye dans le cadre d’un « grand »
Maghreb, ou avec d’autres pays du Moyen-Orient d’une manière ponctuelle.
Pour consulter les axes suggérés de la journée ainsi que les modalités de soumission et organisation pratique, téléchargez le PDF ci-dessous:
Appel à communication: Axes suggérés et modalités de soumission