L’Action urbaine à l’ère néo-libérale :

contextes locaux, urbanités et résistances

(INAU – ENA – CJB)

Coordination

Sanae Aljem, Imane Bikri, Aziz Iraqui

Argumentaire

L’extension urbaine et le développement de métropoles tentaculaires restent des phénomènes qui interpellent l’action urbaine à travers des choix politiques à opérer entre les besoins de l’inclusion sociale des populations exclues, ceux de la protection de l’environnement urbain ou la réponse aux intérêts des grands groupes industriels, immobiliers et financiers.

Ce phénomène est concomitant d’une action publique marquée par le tournant entrepreneurial (Harvey, 1989). Se traduisant par la mise sur le marché des projets urbains (Genestier, Jouve, Boino, 2008) : des morceaux de villes (opérations résidentielles, parcs d’activités, complexes touristiques) sont ainsi accaparés par le secteur privé sous forme de partenariats public–‐privé. Souvent peu critiqués (Mirfatab, 2004),ces partenariats sont censés contribuer aussi bien au renforcement des fonctions métropolitaines qu’à l’amélioration des infrastructures et des aménités dans une perspective d’internationalisation des espaces urbains et des économies nationales. Les injonctions néolibérales touchent aussi bien la privatisation, la décentralisation que la « participation », se traduisant ainsi par la multiplication des acteurs urbains (élus, cadres techniques, gestionnaires de réseaux, sociétés privés, associations) et la complexification de la scène politique urbaine. Mais ces tendances épousent des contextes politiques locaux très diversifiés. « Les villes ne se limitent pas à un terrain qui subit les effets et pratiques du néolibéralisme, elles constituent plutôt une arène principale où ce dernier se transforme, s’adapte ou subit des mutations » (J. Teller, O. Aoun, 2015). Ainsi, les réorganisations introduites par le néolibéralisme restent à interroger sur la scène politique urbaine et les rapports de pouvoir qui oscillent entre conflits et arrangements locaux. Urbanisme de projet, urbanisme néolibéral, urbanisme d’opportunité, expérimentation urbaine, autant de qualificatifs qui montrent le flou et les incertitudes qui entourent l’action urbaine.

L’action publique tente de réguler la compétition entre territoires tout en visant leur développement économique ainsi que l’atténuation des phénomènes d’exclusion ou ségrégation sociale ; un des « grand écart » que doit organiser la scène décisionnelle urbaine,

Réorganisation de l’action publique et dérégulation font également apparaître de nouveaux acteurs et de nouveaux régimes de partenariats : montée en puissance de structures ad hoc de gestion de projets écartant souvent les élus et la population, émergence de professionnel du social face aux associations de quartiers, compétition entre des ONG locales et des élus, etc. Cette réorganisation de la gouvernance de l’urbain soulève alors un ensemble de questions qui restent aujourd’hui en suspens: Qui pilote, arbitre et régule dans les territoires en mutation puisqu’il est bien reconnu que l’addition de projets ne fait pas un territoire urbain ?

Parallèlement, la circulation des modèles prend une importance primordiale dans les pays du Sud ; la ville durable et ses déclinaisons, les éco quartiers, les villes nouvelles, villes vertes autant de qualificatifs qui estampillent l’action publique et privé et le projet urbain. Ces nouvelles façons de faire sont articulées à une planification urbaine qui prend différentes formes pour permettre des négociations et des arrangements locaux. Que nous dit la planification urbaine à l’ère néolibérale ? Quelle place occupent les organes élus ?

Enfin, l’ensemble des mouvements cités établissent un dialogue permanent avec les territoires des populations qu’ils traversent, qu’ils restructurent, contribuant à de nouvelles manifestations sociales : exclusion, pauvreté radicale, violences urbaines mais aussi nouvelles formes de cultures urbaines, de sociabilités, d’actions et de rapport à l’urbain. En quoi l’action ou l’apathie de l’Etat dans ces projets de redéveloppement implique l’imposition de nouvelles normes sociales, et une transformation de l’espace parfois mal vécue (fermeture d’espaces ouverts, normes de propreté, comportement, consommation, etc.) ? La seconde entrée de ce séminaire aborde, donc, l’étude des transformations et nouvelles manifestations sociales à travers les résidents et usagers. Elle traite les questions liées à l’urbanité, aux usages, pratiques, réappropriations de l’urbain et actions sur l’urbain qui restent décisives pour lire la société urbaine et ses évolutions dans la globalisation. Elle concerne aussi les formes de contestation/transgression qui recouvrent aussi bien des formes collectives et organisées de mobilisation ou d’organisation que des formes plus individuelles et spontanées (Kemal,2015). Plusieurs questions sont ici soulevées : identité(s), vécu(s) et réalité (s) du quartier, coprésences et urbanités plurielles dans les centres-villes, mobilisations collectives, leurs formes et leurs leaders, etc.

Pour l’année 2022-2023, le séminaire s’orientera vers les défis posés aux métropoles et à la métropolisation. Il s’agira des thématiques suivantes couplées à des intervenant(e)s pressenti(e)s s;

  • L’attractivité économique et la mobilité urbaine : Xavier Godard
  • Le réchauffement climatique et la justice environnementale : Armelle Choplin, géographe et urbaniste, enseignante à l’Université de Genève (UNIGE)
  • L’exclusion urbaine et l’informel : Jean François Tribillon, urbaniste, consultant international. Son dernier essai : Le droit nuit gravement à l’Urbanisme
  • Mixité et vivre ensemble les périphéries urbaines : Eric Charmes directeur de recherche ENTPE Vaulx-en-Velin (eric.charmes@entpe.fr)
  • Penser le logement dans un monde qui bouge : YankelFijalkow sociologue et urbaniste, Professeur de Sciences sociales à l’ENSAPVS Université de Paris. Sociologie du logement, dernier ouvrage “l’archipel résidentiel”.
  • L’étalement urbain et la fragmentation politique des espaces métropolitains : Emmanuel Negrier,politiste, directeur du CEPEL (CNRS Montpellier)
  • Repenser les métiers à l’heure du numérique, intervenants proposés: Antoine Picon (Paris Versaille/ Harvard) / Jean Baptiste Marie (Clermont Ferrand)

A l’ère du numérique, plusieurs métiers relatifs à la conception architecturale et urbanistique sont en rapide évolution sous l’influence des nouvelles technologies (design paramétrique, BIM, algorithmes de conception…). Ces nouveaux outils techniques orientent les pratiques créatives et sont même susceptibles de provoquer leur redéfinition. Le numérique a effectivement ébranlé durablement certains métiers et pratiques liés à la conception et à la mise en œuvre des projets, en même temps qu’elles participent dans la fabrique d’une image de “prestige” liée aux projets dans un contexte marqué de plus en plus par le néo-libéralisme. Ce qui induit une transformation profonde des relations entre les acteurs de la filière de construction et fait émerger une nouvelle culture de projet avec de nouvelles pratiques professionnelles.

  • Le développement durable : interrogations autour d’une notion galvaudée : Alain Bourdin, Pierre-Arnaud Barthel

Pour chacun de ces thèmes, il s’agit, avant de faire des recommandations en termes de politiques publiques ou de grands principes d’action, de préciser i) les éléments théoriques censés l’encadrer (Harvey et la théorie néolibérale, Veltz et économie d’archipel et mondialisation, école de Chicago, les modes de gouverner Gaudin Epstein, Dormois…), ii) la démarche préconisée et iii) les contextes, lieux et modes d’observation utilisés.

Le séminaire a aussi plusieurs fonctions : interroger les concepts et notions véhiculés par les organismes des Nations Unis et les grands bailleurs de fonds (tels ceux de la gouvernance, du développement durable, de la mixité sociale, de la participation citoyenne…), interpeller les expériences internationales en termes d’innovation dans l’action publique, permettre la comparaison avec le contexte marocain.