Les enjeux de l’essor du salariat industriel à Tanger : dix ans d’enquête
Mercredi 15 mai 2024
Centre Jacques Berque, 10h30
Alexandra Bidet, Chargée de recherche au CNRS, Centre Maurice Halbwachs, Ehess, Paris.
Gwenaële Rot, Professeur des Universités à Sciences-Po Paris, Centre de Sociologie des Organisations.
François Vatin, Professeur des Universités à Paris Nanterre, Laboratoire « Institutions et dynamique historique de l’économie et de la société ».
Discussion menée par Hassan Rachik (Université Polytechnique Mohammed VI)
Résumé de l’argumentaire
Cela fait maintenant une dizaine d’années que nous enquêtons auprès des entreprises internationales implantées dans la zone de Tanger. Nous sommes arrivés sur ce terrain en 2014, quinze ans après l’implantation de la première « zone franche » (Tanger Free Zone), deux ans après le démarrage de l’usine Renault-Nissan qui a donné une nouvelle assurance à la dynamique industrielle en cours. Nous avons donc pu suivre le déploiement du tissu industriel tangérois et les nombreux problèmes techniques, logistiques, sociaux qu’il a posés. Notre première entrée était celle des formes salariales. Mais nous nous sommes rendus compte que l’analyse de celles-ci ne pouvait être dissociée de celles des stratégies industrielles, dans le mécanisme de course-poursuite entre coûts salariaux et montée en compétitivité technique qui s’opère à l’échelle mondiale.
Nous avons rencontré, parfois à plusieurs reprises, de nombreux dirigeants et directeurs des ressources humaines de sites industriels implantés à Tanger, mais pu aussi interroger des salariés de différents niveaux professionnels, des responsables d’administration publique de l’emploi, de la formation professionnelle, du développement économique, des consultants et des acteurs économiques et sociaux divers. Nous avons également opéré des missions de reconnaissance à Kénitra où le démarrage d’une usine de Stellantis en 2019 vise à répliquer le modèle de Tanger. Nous avons séjourné à Rabat, Fès et à Casablanca pour observer comment le développement de Tanger était ressenti depuis les capitales économique, culturelle et politique du Maroc. Nous nous sommes rendus à Oujda, d’où provient une partie de la main d’oeuvre venue travailler à Tanger. Au cours de sept séjours d’une durée moyenne chacun de plus d’un mois, nous avons pu observer les changements à l’oeuvre à partir du site assurément emblématique de Tanger.
Au mitan de nos enquêtes, l’épisode de l’épidémie de la Covid a fourni comme un “crash test”. Le modèle de Tanger était-il durable ou allait-il être mis en cause par ce bouleversement économique, social et politique mondial ? Cette “expérience sociale”, assurément bien involontaire, a donné une portée particulière à notre enquête, par le lien qu’il opérait entre le local et le global, entre les enjeux géostratégiques mondiaux et le quotidien de l’organisation et de la gestion de la main d’oeuvre dans un contexte social déterminé.
Au-delà de nos résultats, c’est aussi l’histoire de nos investigations et notre méthodologie que nous présenterons et ouvrirons à la discussion. Arrivant de France, où les grandes enquêtes industrielles sont devenues difficiles et pour cela rares, nous avons été frappés de la facilité avec laquelle nous avons pu, au Maroc, rencontrer tant de personnes, souvent de haute responsabilité. C’est donc également du statut de la démarche sociologique dans une société qui connaît des mutations sociales rapides que nous aimerions discuter.
